Entre Jouy-le-Moutier et Neuville, quatre ponts se sont succédé sur l'Oise en un siècle et demi, pour relier les deux communes.
De l'époque du bac à celui du premier pont suspendu inauguré en 1839, puis à celui, 100 ans plus tard, du pont en béton ouvert au public en 1939 et détruit en 1940, remplacé longtemps par une passerelle, puis enfin le pont que nous connaissons aujourd'hui, inauguré après maints incidents en 1974, voici l'épopée d'un pont sur l'eau qui rythme depuis un siècle et demi la vie de Neuville et de ses habitants.
Bien avant la construction en 1839 du premier pont reliant Neuville à Jouy-le-Moutier, se développaient en bordure d'Oise de nombreuses activités. Les rivières offrent souvent, au regard des documents anciens, et en particulier des gravures, un aspect bucolique qui n'est pas totalement dénué de fondement. C'est le cas pour l'Oise.
Un monde vivant
Les femmes y lavaient le linge et venaient y puiser l'eau avec des seaux pour leur usage personnel.
A Neuville, on utilisa longtemps l'eau de l'Oise pour cuire les légumes, tant l'eau des puits était calcaire et malgré les impuretés qu'elle renfermait, les immondices et les bêtes mortes que les habitants du cours supérieur ainsi que les mariniers ne se faisaient pas faute de jeter.
Dans l'Oise, et de Beaumont à Éragny en passant par Pontoise et Neuville, on rouissait le chanvre et le lin à l'aide de fagots sur lesquels on posait de grosses pierres destinées à les maintenir au fond de la rivière. La rivière se trouvait ainsi, d'un côté et d'autre, encombrée par les chanvres et les lin des riverains. Le travail achevé, les pierres et pavés demeuraient au fond de l'eau et devenaient par leur grosseur énorme, un danger redouté par les mariniers pour le fond des bateaux qui y circulaient.
Les enfants, souvent, menaient les bêtes boire dans l'Oise malgré les dangers encourus et les hommes y pêchaient, mais de façon très réglementée, car le droit de pêche était un monopole seigneurial acquis avec la seigneurie de Neuville.
Parfois le seigneur pouvait consentir bail à quelques pêcheurs mais pour des prises déterminées, par le moyen précis de la raie et de l'échiquier (sortes de filets), avec formelle interdiction de pêcher le gros poisson.
Comme la rivière était très poissonneuse, remplie de délicieux poissons d'eau douce : l'anguille, la carpe, le gardon, le barbillon, la chevesne ou meunier, la brême, le gard ou vaudoise, le goujon, la perche et le brochet, les contrevenants étaient nombreux et les condamnations tout autant. On relate qu'en 1777, le garde de la maîtrise des Eaux et Forêts, en même temps garde-pêche, surprenant deux pêcheurs de Neuville jetant leurs filets sans y être autorisés, les interpelle et les verbalise.
L'Oise : sa configuration et sa navigation
Outre son utilisation pour les besoins domestiques et les loisirs, l'Oise était aussi un axe de communication, acheminant vers Paris quantité de marchandises, dont le volume augmenta proportionnellement à la croissance de la capitale.
La Seine était la voie la plus vitale mais l'Oise portait en permanence des voyageurs - en coches d'eau ou sur de simples bateaux - et quantité de marchandises venues du Nord : foin, paille, vins, sels, fers, ardoises, pierre de taille marbres, verreries, porcelaines... et deux produits dominants : le grain et le bois.
La boucle de l'Oise apportait également son tribut au commerce fluvial. De part et d'autre, s'étiraient des paroisses vigneronnes qui ont contribué pendant des siècles à l'approvisionnement en vin de la capitale : Cergy, Éragny, Neuville, Jouy, Vauréal. Les fruits complétaient cette production : cerises, pêches, pommes, prunes et abricots.
Le chemin, pourtant, était lent et semé d'embûches. Il fallait franchir les ponts et s'acquitter à chacun d'entre eux de péages, en vertu d'un droit de travers qui assurait à ses détenteurs de substantiels revenus.
Derrière les côtés idylliques, se cachaient donc des difficultés réelles. L'Oise servait l'homme, mais lui créait également de nombreux soucis. L'Oise, en effet, n'a pas toujours été facile à naviguer ou à traverser. Elle était même, aux dires des hommes d'autrefois, un sérieux obstacle aux échanges. Aux contraintes naturelles (méandres ensablés), s'ajoutaient les installations humaines : moulins, piles des ponts, filets des pêcheurs, qui gênaient la circulation et la rendaient même parfois périlleuse.
La rivière n'avait pas alors son niveau actuel. Capricieuse, par instant elle ne renfermait presque pas d'eau, au point de se laisser traverser à gué à maints endroits ; dans d'autres moments, elle en regorgeait et en faisait une ample distribution dans les environs. Elle avait plusieurs lits et dans les grosses eaux, de nombreux bras venaient s'y rajouter, formant parfois de nombreuses îles temporaires. Les hivers rigoureux, l'Oise gelait, et en dépit de quelques avantages - des distractions inaccoutumées pour les riverains - le handicap était de loin le plus important. En 1784, la navigation fut bloquée pendant deux mois.
Ce sont toutefois les inondations qui étaient les plus redoutées. Entre 1732 et 1868, il y eut un grand débordement de la Seine, donc de l'Oise, tous les trois ans. Elles pouvaient atteindre des proportions qui frappaient les imaginations, et provoquer d'énormes dégâts sur les maisons et les récoltes. L'une des plus terribles avait été, comme partout en France, la crue de 1740. L'inondation, à Neuville, fut la plus conséquente que l'histoire nous a donné de connaître.
En même temps on pouvait se noyer dans l'Oise. Périodiquement, des cadavres y étaient repêchés. Les archives de la justice seigneuriale de Neuville, pour la seule fin du XVIIIème siècle, relatent les cas suivants : le mars 1764, le cadavre trouvé attaché par le bras à des branches, est celui d'un messager du prince de Conti âgé de 20 ans. Le 17 juin 1781, au passage du bac, on repêche le corps nu d'une jeune femme noyée dans la rivière. Le 29 janvier 1787, un jeune compagnon de bateau de 16 ans est repêché, le 17 avril 1792, c'est un aide de pont de Pontoise, trouvé noyé, arrêté par la corde du bac, «face livide, front escorié, bouche écumante». Le 20 avril, c'est le corps de Marie Josèphe Faraut, fille d'un vigneron de Cergy, gisant «tête sur la berge, le reste du corps dans l'eau».
On pourrait ainsi multiplier les exemples de noyades, souvent le fruit d'une imprudence.
Pour traverser l'Oise entre Neuville et Jouy-le-Moutier au commencement était le bac
Les ponts sur l'Oise étaient très peu nombreux : seules les cités importantes comme Beaumont-sur-Oise, Pontoise, dotée d'un pont au Moyen Age, ou L'Isle-Adam, en possédaient un. On trouvait plus loin ceux de Creil et de Compiègne. La rivière était cependant guéable en plusieurs endroits, mais ces lieux de passage n'étaient pas toujours accessibles, surtout en hiver et par grosses eaux.
Il fallait sinon emprunter des bacs, dont l'existence est à coup sûr fort ancienne. La création d'un bac pour franchir l'Oise à Neuville est antérieure à 1381, puisque sont mentionnés, dans un document daté de cette même année «le port et passage de Neuville», lieu de transit pour tous les vins qui sont chargés en la voierie de Neufville et tous vins qui sont «vieutrés» (c'est-à-dire grevés du droit seigneurial de vieutrage).
Une gravure de la première moitié du XIXème siècle nous restitue l'aspect et le système du bac : le passeur, appelé «passager» ou «bacquier», manoeuvre un treuil serrant une corde qui n'était pas la même selon les saisons puisqu'on lit dans un bail qu'existaient une corde d'été et une corde d'hiver, ou si l'on préfère, une pour les fortes eaux et une pour les eaux ordinaires. Ce passeur disposait, côté Jouy, d'une petite maison, avec une étable et une écurie au rez-de-chaussée, deux pièces au premier, un grenier, et un escalier extérieur abritant un toit à porcs, ainsi que d'un jardin et de quelques terres.
Les chemins qui permettaient l'accès au bac étaient, côté Neuville comme côté Jouy, détestables. Les habitants de Neuville s'en plaignent régulièrement pendant tout le XVIIIème siècle, soulignant que les voitures chargées de vin manquent d'y verser à tout moment et que leurs conducteurs glissent souvent dans l'eau.
Un document de 1912 atteste de l'état affreux où se trouvent les chaussées de Neuville. Le port lui-même était par ailleurs très exigu.
Lorsqu'en 1826 le comte Cornudet tente de faire émonder les peupliers plantés le long de la chaussée du chemin qui conduit au bac, il se heurte à l'opposition violente des habitants qui rappellent leur plantation par la municipalité et soulignent que «le peu de place que laissent lesdits chemins du bacq, du hallage et de la ruelle forme un port public emploïé de tout temps au dépôt des fumiers, des bois et de toutes sortes de marchandises qui viennent par l'Oise ou qui doivent s'y embarquer».
Le bac, qui relevait des seigneurs de Neuville, étaient affermé, et le premier bail dont nous avons trouvé trace dans les archives, daté de 1472 et concédé pour dix ans, est signé de Nicolas Tudé, seigneur de Neuville. Le seigneur était tenu de le réparer, voire de le remplacer en cas de vétusté, mais jouissait en contrepartie du monopole du droit de bac, port et passage, et des droits de pêche sur l'Oise depuis la fin d'icelle jusqu'au «bacq de Cergy, sans qu'il soit loisible à d'autres personnes d'avoir aucun droit esdits lieux, ny entre lesdits lieux».
Un pont de bois au XVe siècle un projet avorté au XVIIe
Il semble y avoir eu, au XVème siècle un, voire plusieurs ponts de bois pour franchir l’Oise. Les Anglais, venus camper dans la plaine, entre Éragny et Conflans, entreprirent la construction d’un pont sur la rivière d’Oise en face le pont de Cergy. Ce pont, bâti en bois, survécut à ses constructeurs puisqu’en 1473, une ordonnance royale frappait d’un impôt toutes les denrées passant par-dessus et par-dessous les ponts de Pontoise, de Beaumont, de l’Isle-Adam, de Cergy et de Neuville.
Mais quelques années plus tard, les ponts de Neuville et de Cergy, n’étant pas entretenus, tombèrent de vétusté ou furent emportés par une crue de la rivière Oise.
En 1622, c’est le seigneur de Neuville, Innocent de la Grange, qui avait proposé de construire à l’endroit du bac un pont de bois à seize arches, dont deux maîtresses, dont il aurait payé les matériaux. Plusieurs usagers potentiels avaient souligné l’intérêt de cette idée, invoquant le mauvais abord du point d’embarquement du bac et l’impossibilité de l’emprunter lorsque les eaux étaient hautes ou gelées. Optimiste, le seigneur avait acheté le bois et avancé l’argent aux voituriers, aux charpentiers et aux maçons.
Mais le projet se heurta à l’opposition farouche de tous ceux qui avaient intérêt à préserver une situation existante qui garantissait leur bénéfice : les hôteliers de Pontoise, les voituriers par eau et surtout tous ceux qui tiraient revenu du passage de l’Oise. En 1626, le Conseil d’état tranchait définitivement, interdisant la construction d’un pont à Neuville.
Il fallut ensuite attendre plus de deux cents ans pour que renaisse l’idée d’un pont, suspendu, en remplacement du bac existant. Le ministère de l’Intérieur et les conseils municipaux des communes intéressées donnèrent leur accord au projet présenté par les frères Seguin, ingénieurs civils à Paris, qui se proposèrent de construire l’ouvrage à leurs frais. Il serait fait aux adjudicataires de l’entreprise, comme l’habitude avait été prise depuis la Restauration, une concession des droits de péage réclamés aux usagers, qui ne pourrait excéder 99 ans.
Ingénieurs, entrepreneurs et esprits novateurs avaient observé les constructions de ponts suspendus aux États-Unis puis en Angleterre. Il s’agissait de ponts suspendus à chaînes de fer, qui avaient l’avantage d’être légers et bon marché, mais qui nécessitaient d’excellents ouvriers fondeurs. Plus tard il s’avéra que les ponts suspendus présentaient des signes évidents de faiblesse, tels que l’oxydation rapide des câbles et la résonnance du tablier. Ce type d’ouvrage fut alors remis en cause mais le pont de Neuville, comme la plupart de ceux réalisés dans la région, appartenait à la génération de ceux qu’on appelait les ponts Seguin.
En 1837, un gros cahier des charges, très précis, fut élaboré. Le pont, à une seule voie, serait établi dans l’axe de la rue conduisant à Neuville. Le concessionnaire exécuterait l’ouvrage à ses frais dans un délai de deux ans. Le pont serait avant ouverture soumis à épreuve, avec une charge de deux cents kilos par mètre superficiel de plancher, qui y resterait pendant vingt quatre heures. Les bacs et batelets ne devaient pas être gênés pendant la construction, et ne cesseraient leur activité que le jour de l’ouverture au public. Une visite annuelle vérifierait l’état du pont.
Quant au péage, il serait concédé à l’adjudicataire, à qui l’état donnerait une subvention de 15 000 francs payable en deux parties : l’une à la moitié des travaux, l’autre à la réception définitive. Enfin, à l’expiration de la concession, le pont, rendu en bon état, tomberait dans le domaine public. Le 30 mars 1838, l’adjudication fut accordée à celui qui, des sept concurrents, avait fait l’offre financière la plus avantageuse : Jules Rolland de Ravel. Les frères Seguin avaient donc, bien qu’ils aient conçu peu de temps auparavant le pont de Conflans, été évincés. Très vite, les travaux commencèrent et l’ouverture au public fut autorisée le 16 juillet 1839.
Le pont, peint en gris et couleur olive, avec une balustrade couleur bronze, ressemblait beaucoup à ceux déjà existants dans la région : Auvers, Conflans, Fin d’Oise et Triel. Il était à une seule voie. Aux angles des culées, s’élevaient quatre obélisques en pierre de taille destinés à supporter les câbles. Tablier et garde-corps étaient en bois. L’accès, fort agréable, se faisait dans un cadre verdoyant.
Les profits du péage, perçus par un receveur appointé, avaient été dès l’origine partagés entre Émile Cornudet, propriétaire du château de Neuville, qui avait racheté la moitié puis un quart des droits à percevoir, et Rolland de Ravel, qui en avait un quart.
Le pont endommagé lors de la guerre de 1870
Le 15 septembre 1870, le pont fut volontairement dégradé, comme les onze autres que, dans la région, le génie civil détruisit dans l’intérêt de la défense nationale. L’ennemi en fut considérablement gêné mais ce sont surtout les habitants qui furent pénalisés : le 1er avril 1872, la municipalité de Neuville déclara que la commune se trouvait comme dans une presqu’île, la circulation avec la plupart des communes environnantes étant interrompue.
«Jusqu’au rétablissement du pont, écrit Ferdinand Fouque, il fallut encore passer la rivière en nacelles ou bateaux».
Du 18 au 27 février 1873, le nouveau pont, semblable au premier, fut soumis à épreuve. Le résultat étant concluant, la circulation et le péage furent rétablis dès le 1er mars.
À cette date, la navigation sur l’Oise avait profondément évolué, quantitativement et qualitativement. La Révolution industrielle avait en effet développé une nouvelle géographie économique, laquelle avait besoin de liaisons avec les villes qui consommaient.
Le tonnage et par suite la taille des bateaux durent en conséquence augmenter, le trafic s’intensifia, nécessitant une amélioration de la navigation de l’Oise. La Révolution industrielle fut aussi marquée par le développement de la navigation à vapeur : bateaux à roues, à aubes, à hélice, s’imposèrent lentement. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, c’est la traction des bateaux qui évolua considérablement avec la naissance du remorquage. Sur l’Oise toutefois, où l’on ne pouvait remorquer que de petits convois, le système n’était pas rentable et le halage perdura.
Le rachat du péage à la fin du XIXe siècle
L’accroissement du trafic ne gênait guère les habitants des deux rives, très sensibles, en revanche, à l’aspect psychologique et financier du péage, d’autant qu’en juin 1889, la commune de Cergy avait décidé le rachat du sien.
Les habitants de Neuville décidèrent donc de se cotiser pour en faire autant, et mandatèrent leur Maire, Joseph Cornudet, afin qu’il essaie de trouver une entente avec la municipalité de Jouy. Le rachat du péage de Neuville fut finalement proclamé d’utilité publique le 24 juillet 1893 et le 1er octobre eut lieu la cérémonie officielle, marquée par un plantureux banquet et ponctuée d’un discours dans lequel Joseph Cornudet laissait percer son amertume sur les lenteurs administratives.
Une fois l’euphorie retombée, les problèmes resurgirent, de plus en plus préoccupants, en particulier celui de l’oxydation des câbles, qui mettait la sécurité en péril. Mais un nouveau pont coûtait cher... il faudrait encore attendre près d’un demi-siècle pour qu’un ouvrage solide soit construit !
La durée des ponts suspendus n’était pas éternelle, et les conditions de la circulation routière évoluaient tout autant que celles de la navigation.
En 1910, le conseil municipal de Neuville s’inquiétait du passage croissant «des automobiles et des grandes charrettes, chargées de foin et de paille, traînées par quatre chevaux» et réclamait un pont semi-rigide à deux voies. Ses inquiétudes étaient tout à fait justifiées.
Il suffit de lire les comptes rendus des visites annuelles pour prendre conscience de l’irrémédiable dégradation de l’ouvrage.
Le rapport de 1881 signale ainsi que, lors de la reconstruction du pont après la guerre de 1870, on avait, au lieu d’employer des câbles neufs et galvanisés, réutilisé une partie de l’ancien pont insuffisamment nettoyés, et surtout trop peu goudronnés. En 1884, les câbles recommencèrent donc à s’oxyder fortement.
En 1891 on fit appel au meilleur spécialiste des ponts suspendus, Ferdinand Arnodin, qui avait apporté de grands perfectionnements à la technique en substituant des câbles à torsion alternative aux câbles à fils parallèles, et en adoptant un procédé d’amarrage plus efficace et plus accessible. Il estimait aussi indispensable de refaire en métal les garde-corps «composés, selon le type primitif, tout en bois, par conséquent peu durables, avec lesquels on s’est préoccupé seulement de préserver la chute des passants sans se soucier de donner au tablier une rigidité efficace qui lui serait si profitable». A la veille de la première guerre mondiale l’état du pont apparut malgré tout assez satisfaisant.
A partir des années 1920, le problème de la dégradation du pont préoccupe à nouveau les uns et les autres. Le comte Joseph Cornudet, Maire de Neuville, devenu député et Conseiller général, attire l’attention du Préfet sur l’état de délabrement dans lequel se trouve le pont de Neuville. L’usure des câbles devient particulièrement aigüe à partir de 1927 et compromet de plus en plus sérieusement la sécurité.
Pour y parer, il fut placé en 1931 en permanence sur le pont, à la place du cantonnier qui surveillait épisodiquement la circulation, un gardien chargé de faire respecter les prescriptions de l’arrêté préfectoral.
En 1934 la situation était réellement catastrophique, ainsi que le montre le rapport d’inspection. Le 24 octobre 1934 le Conseil général de Seine-et-Oise adopta enfin le vœu de Joseph Cornudet, alors sénateur, visant à remplacer le pont suspendu par un pont fixe. Cependant les capitaux étaient difficiles à réunir et le 8 février 1937, le Préfet fut à nouveau obligé de faire valoir auprès du Ministre de la Défense l’urgence de la reconstruction «tant au point de vue de la sécurité du passage que pour la résorption du chômage».
Un superbe pont en béton armé... le premier du genre en France
Depuis la construction du vieux pont suspendu, les techniques de construction avaient considérablement évolué : aux ponts métalliques qui avaient fleuri à la fin du XIXe siècle, avaient succédé les ponts en béton armé, eux-mêmes objets d’amélioration continuelle. C’est le type d’ouvrage à tablier suspendu qui fut choisi pour le pont de Neuville, dont le projet fut soumis à concours.
Le projet choisi fut étudié par l’ingénieur Henry Lossier, qui travailla en collaboration avec M. Wibo, architecte. Dès lors, les choses allèrent vite, plus vite même que prévu : moins d’un an. Dés décembre 1938, on put annoncer : «la reconstruction d’un nouveau pont à l’amont est virtuellement terminée». L’ouvrage, de type «bow-string» conçu selon les techniques et les matériaux les plus modernes, était en béton armé. Un escalier assurait aux piétons la communication avec le chemin de halage côté Neuville, et le mur de soutènement était adapté aux crues.
Ce n’est donc pas sans fierté qu’on inaugura, le dimanche 2 juillet 1939, le nouveau pont, qui avait coûté un si gros sacrifice financier aux deux municipalités de Neuville et de Jouy. Deux mille personnes, aux dires de la presse, s’entassaient des deux côtés du pont et les autorités furent nombreuses, accueillies par les deux maires, Aristide Tremblay et Marcel Lainé. Une deuxième cérémonie inaugura la rue Cornudet, en hommage au maire disparu en février 1938.
Le «pont Cornudet», ainsi qu’on l’avait baptisé, était ouvert au public sous les meilleures auspices. Un an plus tard à peine, il sautait !
9 juin 1940 le génie français dynamite le pont
Après la «drôle de guerre» qui s’enlisa de septembre 1939 à mai 1940, la déroute de 1940 fut si complète qu’elle stupéfia tout le monde. Pour tenter d’endiguer le flot, les troupes du génie français avaient fait sauter méthodiquement tous les ponts qu’elles pouvaient, avec une efficacité d’autant plus grande qu’elles étaient en grande partie composées de gens du bâtiment, officiers compris. Dans le seul département de Seine-et-Oise, 103 ouvrages d’art devaient être détruits ou endommagés sur les voies publiques au cours des hostilités. Pour le tout récent pont de Neuville, le dynamitage avait d’autant plus aisé que tout avait été prévu à cet effet : des charges de mélinite avaient été réparties à l’intérieur du pont lors de sa construction, dans le but de provoquer en cas de besoin la destruction des deux piliers et la rupture des tabliers.
Un autre problème se posait : assurer la traversée de l’Oise à tous ceux qui en avait besoin.
Dès le 10 juin 1940, il fallut se débrouiller comme on put pour partir au travail, ou pour aller au marché. On vit donc resurgir barques et passeurs, qui assurèrent le transbordement des piétons, des cyclistes et des marchandises légères, ce qui ne fut pas sans poser parfois problème. Deux passeurs se relayaient pour assurer la traversée. Les habitants de Neuville étaient très gênés pour leur ravitaillement, puisque les principaux commerces se trouvaient à Jouy. De même le maréchal-ferrant commun aux deux villages travaillait-il côté Neuville. Quant aux cultivateurs de Jouy-le-Moutier et de Neuville qui possédaient des terres de l’autre côté de l’Oise, il leur fallut d’abord confier leurs parcelles à des collègues ou à des amis qui se situaient du bon côté.
La situation, pesante, ne pouvait être pensait-on, que provisoire. Aussi, en octobre 1944, les habitants de Neuville et ceux de Jouy réclamèrent-ils avec insistance, par l’intermédiaire du Maire de Neuville, un bac. Pourtant l’ingénieur en chef des Ponts et chaussées estima que pour l’établissement d’un bac, «la dépense paraissait prohibitive si on la comparait aux intérêts en cause».
Un an plus tard la situation n’avait pas évolué d’un pouce. L’ingénieur en chef persistait dans son refus sous prétexte que le transport devenu gratuit des piétons, des cyclistes et des marchandises de faible tonnage, assurait l’essentiel des besoins. Le grand nombre de destructions d’ouvrages d’art pendant la guerre obligeait par ailleurs à établir, compte tenu de l’insuffisance des fonds spéciaux affectés à la reconstruction, un ordre d’urgence. La densité de circulation sur le pont de Neuville était faible et la conclusion était claire et ferme.
En 1947, toutes les solutions envisagées avaient donc tour à tour, pour des raisons financières, été refusées ou ajournées : à savoir, la mise en place d’un bac, l’installation d’un pont métallique provisoire, et plus encore la reconstruction définitive d’un pont.
La situation s’enlisait d’autant plus que la crise de l’acier gênait considérablement la reconstruction des ponts programmés.
Conscient qu’on ne pourait compter sur une reconstruction à Neuville avant de nombreuses années, l’ingénieur des Ponts et chaussées proposa qu’on se contente d’un pont à une voie, tandis que l’ingénieur en chef imaginait la construction d’un ouvrage semi-définitif pour lequel on jetterait deux piles en rivière, points d’appui de l’ouvrage définitif, sur lesquelles on poserait un tablier métallique apte à durer dix ans, voire plus.
Le 23 février 1952 furent mis à disposition 120 mètres de pont Bailey ainsi que des éléments de pile. Ce type de pont, qui n’avait jusqu’alors été utilisé que sur terre, était particulièrement commode.
En 1952 la passerelle est mise en place. C’est un pont Bailey
La passerelle, large de 3,30 mètres, fut mise en service le 13 juin 1952 après mille démarches.
En août 1958, l’ingénieur en chef annonça la prochaine mise en chantier du pont. L’avant-projet fut pris en considération par décision ministérielle en 1961. Pourtant en 1964, rien n’avait encore été fait et le platelage de la passerelle subissait des dégradations constantes.
Quand la décision de la reconstruction du nouveau pont parut engagée, se posa la question de l’emplacement de l’ouvrage qui devait respecter le gabarit futur de la navigation fluviale, soit 7,25 mètres au-dessus du niveau des plus hautes eaux.
Pour Neuville, ceci nécessitait donc une telle surélévation du pont de la commune que son accès par la rue du Pont aurait une pente qui risquerait d’être dangereuse. Aussi, prévoyait-on un déplacement du pont. En 1966, le conseil municipal s’était prononcé à l’unanimité, contre tout déplacement du pont, considérant que Neuville et Jouy-le-Moutier sont reliées géographiquement depuis toujours et qu’il paraît vital de ne pas les séparer.
En attendant que la question soit tranchée, la sécurité sur la passerelle devenait de plus en plus problématique. Vers 1970, la situation était devenue intenable du fait des détériorations très graves constatées à la base de la pile centrale. Le pont fut même fermé à toute circulation par arrêté préfectoral afin de permettre la réparation du tablier, devenue urgente. La voie unique, en bois, pliait, grinçait. L’année 1972 fut décisive. Le 25 novembre le conseil municipal se félicita de l’évolution des choses et prit bonne note que ce pont serait commencé avant 1972 et serait en service en 1974. Le marché fut conclu le 16 janvier 1973 et approuvé le 16 février. L’entreprise Soctracomet, à qui les travaux avaient été confiés, promit qu’ils débuteraient dans les premiers jours de mai 1973. Le 24 le chantier n’était toujours pas commencé, les ennuis n’étaient pas terminés...
Les mésaventures d’un pont dont l’inauguration même dut être retardée
Plusieurs incidents devaient en effet émailler la construction de l’ouvrage. Lors de la livraison de deux poutrelles, deux maisons de Jouy furent endommagées. Puis, le 13 septembre 1973, un incendie, heureusement sans gravité, se déclara au nouveau pont.
Il s’agissait semble-t-il d’un acte de malveillance, puisque Le Parisien indiquait : «récemment une main criminelle mettait le feu aux échafaudages le soutenant». Ce ne fut pas tout. Le 21 novembre 1973, Le Parisien, titrant «heurs et malheurs du nouveau pont», ce pont qui «porte la guigne», rendit compte de la collision survenue dans le brouillard du possoir Le Mantais avec la barge du pont. Le radar avait bien indiqué la présence de l’ancien pont mais pas du nouveau qui fut déporté de quelques mètres. Enfin le moment tant attendu arrivait, et les deux municipalités souhaitaient bien marquer l’évènement : on commanda donc la musique du huitième régiment, un bal avec Jackie André, un vaste chapiteau pour 1000 personnes tandis qu’on mettait un buffet sur pied et qu’on écrivait à toutes les personnalités du département pour les inviter à donner le maximum d’éclat à la cérémonie.
Las, un dernier évènement devait bouleverser tous ces projets : la mort du Président de la République, Georges Pompidou, et l’ouverture d’une période électorale qui interdisait toute cérémonie officielle. L’inauguration prévue le 27 avril était reportée à une date ultérieure. Tous les préparatifs étaient à recommencer ! C’est seulement le 15 juin 1974 que Michel Poniatowski, Ministre d’Etat, put présider les cérémonies d’inauguration du nouveau pont, bénit par l’évêque, monseigneur Gillet, et ouvert solennellement avec l’accompagnement de la musique du huitième régiment de transmission jouant la Marseillaise sous un soleil éclatant. Cette fois l’avenir semblait bien engagé !